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trainquejaime
29 septembre 2006

La nouvelle route doit relier sur une centaine de kilomètres la nationale 10

ou l'autoroute A10, au nord de Bordeaux, à l'A63, au sud, pour éviter l'asphyxie de l'agglomération et faciliter le trafic entre la péninsule ibérique et le nord de l'Europe. En soumettant initialement à la concertation une quinzaine de tracés, avec la traversée des vignobles du Blayais et du Médoc, d'un site classé Natura 2000 ou encore de zones résidentielles, la préfecture avait suscité la colère de nombre de riverains, écologistes et viticulteurs

Bordeaux
Les pour et les contre

La manifestation qui a rassemblé le 16 septembre un millier d'opposants au contournement autoroutier de Bordeaux témoigne d'une réelle mobilisation. Nous avons donné la parole à des partisans comme à des adversaires du projet. A l'évidence, les positions ne sont pas toutes figées et, dans l'attente du tracé définitif, on distingue des nuances considérables parmi les analyses qui s'expriment au sein des deux camps antagonistes.

Eddy Charpol et Pascal Mateo

Jean-Pierre Poussou Historien des villes et ancien recteur de l'académie de Bordeaux


« Je ne suis pas un adepte du tout-voiture, mais il y a des réalités qu'on ne peut occulter. La croissance du trafic en est une, qu'un hypothétique développement du ferroutage ne suffira pas à endiguer. On n'échappera donc pas à un grand contournement de Bordeaux, et je ne connais pas d'alternative au monde qui fonctionne. Je regrette néanmoins que n'ait pas été examinée l'option d'un passage à l'ouest beaucoup plus large qui puisse prendre sa source sur l'A10 à Poitiers et se grefferait sur l'A63. Solution peut-être plus coûteuse, mais qui aurait le mérite de désenclaver Angoulême et de traverser des zones moins sensibles.

On oublie souvent que les embarras du trafic routier ne datent pas d'hier et existaient déjà au XIIe siècle. On croit vivre quelque chose de nouveau, ce n'est pas le cas. Au XVIIIe siècle, on circulait fort mal à Bordeaux. Une première rocade a été créée avec le cours d'Albret, les allées de Tourny et le cours du Chapeau-Rouge. Suivront les boulevards, puis l'actuelle rocade. Le grand contournement participe de la même logique bien que sa vocation soit différente. Son impact sur le trafic local sera minime, il est donc indispensable qu'au préalable la rocade passe à deux fois trois voies. En matière d'urbanisme, le contournement devrait générer un développement classique perpendiculaire aux axes de communication vers la ville. Les sorties étant a priori peu nombreuses, l'urbanisation devrait rester modérée. Mais il s'agira d'être vigilant. Le contournement ne doit pas devenir au fil du temps une nouvelle réponse à l'augmentation du trafic local dans une agglomération qui aurait trop pris d'embonpoint. On serait alors dans une logique du tout-autoroutier comme à Los Angeles.

Il est normal qu'un projet de cette ampleur soit contesté. C'est humain et très français. On est d'accord sur le principe à condition que cela se fasse chez le voisin. Mais les dégâts sur l'environnement tels qu'ils sont dénoncés me semblent exagérés. L'emprise d'une autoroute est réduite, et les techniques sont très au point. Tous les exemples que je connais présentent un bon compromis en matière de respect de l'environnement. »

Jean-Pierre Poussou prépare une « Histoire de Bordeaux » qui devrait être publiée au printemps 2007.

Francis Idrac Préfet de la région Aquitaine

« Que le projet soulève des oppositions, c'est normal. Mais son principe n'est pas rejeté. Il a été validé par les principales collectivités et admis jusque dans les rangs des syndicats viticoles. Quant à la méthode, critiquée par le président du conseil général chez qui j'observe une certaine réticence à assumer, je persiste à penser qu'elle était la meilleure. Nous avons mis sur la table tout ce qui était envisageable pour ensuite examiner, écouter et affiner. J'admets que les premières esquisses s'avéraient indigestes, mais il était indispensable de présenter toutes les options. Si nous avions procédé de manière plus sélective, on nous aurait taxé d'Etat technocratique et autoritaire. Il est donc faux de dire qu'il n'y a pas eu concertation. Elle s'est voulue large et se poursuivra.

Concernant l'environnement, les incidences directes sur le vignoble me paraissent limitées. Le tracé nord entraînerait l'arrachage de quelques dizaines d'hectares dans le Blayais. Un chiffre à comparer aux 130 000 hectares de vignoble de la région de Bordeaux et aux quelques milliers que la profession s'est engagée à arracher. Quant aux risques indirects que le contournement ferait peser sur l'écosystème ou la vigne, je suis prêt à les entendre, mais j'attends qu'on me démontre leur réalité sur la base d'observations concrètes et précises. Je dois maintenant faire ma proposition au ministre et je n'exclus pas de lui demander de poursuivre les études détaillées sur la base des deux options présentées le 29 août. Le tracé a déjà évolué. Il peut évoluer encore, mais il faut commencer à être précis. L'objectif restant de commencer l'enquête d'utilité publique courant 2007 pour lancer le chantier en 2009. »

Hugues Martin Député maire (UMP) de Bordeaux

« Je suis totalement favorable au principe d'un grand contournement. A une condition : qu'il ne devienne pas une nouvelle autoroute urbaine. Il ne doit pas y avoir, autour de cet aménagement, de nouvelles implantations commerciales ou des zones d'habitat. La communauté doit se densifier intra-muros, et il n'est pas question d'une super-rocade. Cela signifie que le contournement doit comprendre deux sorties pour desservir l'aéroport et irriguer le Médoc, mais pas plus.

Cet ouvrage doit en outre être doublé d'une voie ferrée. Avec la future ligne à grande vitesse, le ferroutage devra, enfin, trouver son expression, ce qui est loin d'être le cas actuellement. Mais je ne vois pas pourquoi ces centaines de wagons devraient transiter par la gare de Bordeaux. Le grand contournement ne doit pas non plus obérer les urgences du moment, en particulier la mise à deux fois trois voies de la rocade bordelaise. Enfin, le préfet doit accélérer la concertation. J'ai noté que le "plat de nouilles originel" s'était réduit à deux propositions. Dans ces conditions, moyennant une excellente concertation, j'espère que le chantier sera mis en oeuvre le plus rapidement possible. »

Philippe Madrelle Président (PS) du conseil général

« Ce projet, je le connais d'autant mieux que c'est moi qui l'ai lancé il y a plus de quinze ans. Le conseil général avait même, à l'époque, fait faire des études, et si on m'avait écouté, tout cela serait déjà réalisé aujourd'hui. Je suis heureux de constater que le projet avance enfin. Mais il a été mal engagé. La faute incombe au gouvernement Raffarin qui, fin 2003, a interrompu le débat public. Le ressenti a été très négatif chez tous les acteurs du projet, et le résultat a été ce "plat de nouilles" présenté au printemps dernier par les services de l'Etat. L'opposition n'en a été que plus virulente. Aussi, lorsque je dénonce une insuffisance de concertation, c'est une réalité. Et si je souhaite aujourd'hui un moratoire, je ne me défausse pas. Je plaide la poursuite d'une concertation qui n'a pas été menée à terme. Il faut reprendre le débat public, écouter les critiques, examiner les propositions alternatives. On nous présente deux options, il en existe peut-être une troisième. Deux ou trois mois de débat public ne changeraient pas grand-chose au calendrier. Dominique Perben ne prendra certainement pas de décision avant la présidentielle. Mais cela permettrait d'avancer, de trouver des compromis et d'apaiser les tensions. »

Alain Rousset Président (PS) de la communauté urbaine de Bordeaux et du conseil régional d'Aquitaine

« Je suis favorable au grand contournement de Bordeaux : les prévisions de croissance du nombre de poids lourds sont telles que nous ne pourrons pas échapper à la route ! Mais il est également urgent de développer le merroutage et le ferroutage. Le principal combat que je mène aujourd'hui concerne le TGV. Or les voies libérées par la construction d'une ligne à grande vitesse pourraient peut-être favoriser le développement du fret ferroviaire. Mais il s'agit là d'une réflexion d'entreprise qui ne peut être menée qu'au sein de la SNCF. »

Laurent Courbu Président de la chambre de commerce et d'industrie de Bordeaux

« Une activité économique perd de son efficacité dès lors qu'il devient impossible de traverser le territoire sur lequel elle se développe. Or la rocade est aujourd'hui saturée, en particulier par le trafic nord-sud de poids lourds. Continuer de l'encombrer avec un fret de transit qui n'apporte rien à l'économie locale est une aberration ! Ce grand contournement est indispensable, et il doit passer par l'ouest de l'agglomération. Il permettra ainsi de désenclaver le Médoc, de rallier l'aéroport de Bordeaux-Mérignac et de desservir la "route des lasers", où de nombreux sous-traitants commencent à s'implanter.

Aujourd'hui, les atermoiements des politiques me désolent, car ce grand contournement devrait faire l'unanimité. Quant aux collectifs d'habitants qui s'y opposent, j'ai le sentiment qu'ils pratiquent moins l'écologie que "l'egologie" : leur attitude relève d'un comportement égoïste et non d'une analyse objective. »

Gérard Dubo Maire (sans étiquette) d'Arsac et président de la communauté de communes de Médoc Estuaire

« La communauté de communes de Médoc Estuaire connaît une situation particulière, puisque l'ensemble des tracés jusqu'ici proposés par les services de l'Etat prévoit sa traversée.

Les onze maires de notre communauté de communes ont pris une position politique courageuse : pour désenclaver le Médoc, nous souhaitons un grand contournement par l'ouest. Mais à 10 ou 20 kilomètres de Bordeaux, ce contournement n'est pas autre chose qu'une super-rocade. Selon nous, la meilleure solution consisterait à faire passer cette infrastructure beaucoup plus au nord, entre Saint-Laurent-du-Médoc et Lesparre. Elle se trouverait ainsi à mi-chemin entre Bordeaux et Le Verdon. En outre, elle éviterait à la fois les vignobles médocains et les zones d'habitation. Mais cette hypothèse n'a même pas été examinée. »

Sébastien Hournau Maire (PS) de Pauillac et président de la communauté de communes du Centre-Médoc

« Aujourd'hui, l'économie médocaine ne peut se développer, car, faute d'infrastructures, le lien entre Bordeaux et notre territoire rural se fait difficilement. Le grand contournement représente par conséquent une formidable opportunité pour le désenclavement du Médoc. Un passage au nord désengorgerait certes davantage notre presqu'île. Mais la taille de l'ouvrage de franchissement de l'estuaire soulèverait certainement des problèmes techniques que je ne maîtrise pas. Quoi qu'il en soit, le tracé qui sera retenu empiétera forcément sur des propriétés privées, et je comprends que cela suscite des réactions épidermiques. Mais l'intérêt collectif doit être prioritaire. Aujourd'hui, il est important d'avancer rapidement. »

Jean-Luc Buetas Maire (UMP) de Saint-Paul-de-Blaye

A la mi-août, Jean-Luc Buetas a participé à la création d'un collectif qui rassemble 110 élus du Blayais, toutes tendances confondues.

« Nous avons le sentiment d'avoir été roulés dans la farine par le préfet, et nous sommes choqués par le silence assourdissant de nos grands élus. Ce contournement nous a été présenté comme un moyen de désenclaver le Blayais. Or les tracés et les échangeurs proposés nous condamnent à seulement regarder passer les camions ! Il nous a également été dit que cette infrastructure permettrait de décongestionner la rocade de Bordeaux. Mais le passage de cette rocade à deux fois trois voies est un préalable indispensable à la résolution de cette question ! Le problème, c'est que de nombreux permis de construire ont été accordés par les maires des communes situées sur le tracé de cette rocade. La communauté urbaine de Bordeaux percevant la taxe professionnelle, il n'est pas dans son intérêt de procéder à son élargissement. Elle juge plus opportun d'envoyer au loin les désagréments inhérents au grand contournement. Nous demandons donc que nous soit apportée la preuve de la nécessité de cette infrastructure. »

Eddie Puyjalon Délégué départemental CPNT (Chasse, pêche, nature et traditions)

La Gironde est le département français qui rassemble le plus grand nombre de détenteurs de permis de chasse. Principalement présents dans le Médoc et en Haute-Gironde, les chasseurs sont concernés au premier chef par ce dossier.

« Nous sommes opposés au principe même de grand contournement. Tout d'abord, il nous paraît impératif de sauvegarder le côté sauvage de l'estuaire de la Gironde, qui est pour l'essentiel classé en zone Natura 2000. Surtout, aucune infrastructure de ce type ne se justifie au regard des informations qui nous ont été données. Par exemple, l'argument selon lequel ce grand contournement détournerait le trafic de poids lourds de la rocade de Bordeaux ne tient pas. En réalité, les embouteillages de la rocade proviennent du trafic inter-urbain, et certainement pas du transit nord-sud ! En fait, ce projet relève d'un caprice politique, et les prises de position des élus nous agacent. Certains militent pour le grand contournement, car il leur apporterait une urbanisation supplémentaire, source de retombées fiscales. D'autres y sont favorables, mais à condition qu'il passe chez leurs voisins, car ils commencent à trembler pour leurs sièges. »

Denis Levraud Président du Syndicat viticoledes Côtes de Bourg

Depuis plusieurs semaines, Denis Levraud conduit la mobilisation des 550 membres de son syndicat, mais aussi des viticulteurs de l'appellation voisine des Côtes de Blaye. L'objectif ? S'opposer au grand contournement afin de préserver le vignoble.

« Les services de l'Etat prétendent que le fuseau 4 causerait peu de dommages au vignoble, car il épouserait le cours du Brouillon. Mais cette rivière, qui marque la frontière entre les Côtes de Bourg et les Côtes de Blaye, fait seulement 2,5 mètres de large ! Cela signifie qu'un grand contournement imposerait la destruction d'un grand nombre d'hectares de vignes. En outre, cet ouvrage altérerait notre terroir, car il romprait l'équilibre entre le sol et le climat. Une telle masse de béton ne pourrait plus absorber les eaux pluviales. Les quelques vignes qui resteraient le long des berges se situeraient dans des zones plus humides avec, l'hiver, des phénomènes de gel accentués et, l'été, des circuits aériens de ventilation modifiés. Nous ne produirions plus le même vin ! De plus, un paysage massacré par un tel ouvrage n'attirerait plus les visiteurs, ce qui serait d'autant plus regrettable que certains vignerons sont aujourd'hui engagés dans une démarche d'oenotourisme. C'est pourquoi nous souhaitons la reprise de la concertation, mais avec l'ensemble des socioprofessionnels concernés. »

Thomas Lugagne Fondateur d'un collectif apolitique d'habitants du Pian-Médoc

« En 2003, le débat public a été interrompu avant son terme : il y a là un déni de démocratie. Nous relayons donc l'écoeurement des citoyens pour demander la reprise de ce débat public, ainsi que l'arrêt des procédures en cours. D'autre part, ce projet semble avoir été mis au point par des dinosaures, avec des arguments datant de l'âge de pierre. La route n'est qu'une solution du passé et il existe aujourd'hui des solutions alternatives ! »

Colette Arnaud Présidente de l'association Vivre avec le fleuve (presqu'île d'Ambès)

Fondée voilà quelques années pour défendre les habitants de la presqu'île contre les inondations et le risque industriel, l'association Vivre avec le fleuve a pris la tête de la coordination locale d'opposition au projet.

« Plutôt que de construire un contournement dont la fréquentation reste hypothétique, il nous paraît plus utile d'améliorer ce qui existe déjà. Outre l'élargissement indispensable de la rocade de Bordeaux, la mise à deux fois deux voies intégrale - et non sur quelques tronçons - de la N215 favoriserait le désenclavement du Médoc. Et des travaux identiques doivent être effectués sur la N137, qui dessert le Blayais. De plus, il est impératif d'améliorer la desserte SNCF sur la couronne bordelaise. »

Bernard Belair Président de l'Association de défense des sites et des habitants de la Haute-Gironde (ADSHHG)

C'est à l'ADSHHG qu'on doit la création d'un collectif d'associations de la rive droite de la Gironde. Sa première pétition, destinée à réclamer une reprise du débat public, a rassemblé 15 000 signatures.

« Traditionnellement, les poids lourds privilégient les routes gratuites : entre Poitiers et Bayonne, la plupart d'entre eux empruntent donc la N10. Comment imaginer qu'ils rouleront un jour sur ce grand contournement payant - un péage de 20 à 30 euros est évoqué - alors qu'ils pourront continuer de prendre la rocade de Bordeaux ? Ce projet n'offre aucune alternative au tout-camion. Il nous paraît donc fondamental de conduire une réflexion globale sur les différents modes de déplacement. Pour les voyageurs, la ligne SNCF entre Blaye et Bordeaux devrait par exemple être réactivée. Pour les marchandises, il faudrait aussi examiner les possibilités de ferroutage et de transport fluvial. En outre, ce grand contournement aurait de graves conséquences environnementales : outre les nuisances pour les riverains et les risques pour la faune et la flore, il ferait peser une lourde menace de pollution sur la nappe d'eau éocène qui alimente la moitié de l'agglomération bordelaise. »

Philippe Barbedienne Directeur de la Sepanso (fédération régionale des associations de protection de la nature en Aquitaine)

En mai, la Sepanso a donné naissance au collectif Bordeaux incontournable, composé d'une dizaine d'associations de protection de l'environnement.

« Nous nous opposons à ce projet, quel que soit le tracé proposé. Un grand contournement altérerait durablement notre environnement, car il contribuerait à l'émission de gaz à effet de serre. En effet, ses travaux de construction propulseraient dans l'atmosphère une immense quantité de gaz carbonique, jusqu'alors stockée dans les plantes et leurs racines. Or ce gaz carbonique ne pourrait plus être absorbé par le ruban de bitume de l'autoroute.

Se pose aussi le problème de l'estuaire : dans les vases de la Gironde sont piégés des métaux lourds, en particulier du cadmium. Issu des eaux de lessivage de l'exploitation minière de Decazeville, ce métal toxique est pour l'instant enfoui dans les dépôts et reste peu mobile. Mais, à l'occasion de la construction d'un contournement, les vases seraient remuées pour alimenter le chantier en granulats et pour couler les piles du franchissement. Le cadmium repasserait à l'état soluble et serait dès lors assimilable par les organismes vivants. La pollution ainsi créée signerait probablement l'arrêt de mort de l'ostréiculture dans le bassin de Marennes-Oléron. »

copie de l'article :

© le point 28/09/06 - N°1776 - Page 204 - 2739 mots

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